Son obsession anti-gaspi remonte à l’enfance. Petite, Anne-Laurène Harmel supportait mal de voir tous ces produits et appareils finir à la poubelle au bout d’un cycle. Le gaspillage la questionnait même tellement que, dans sa chambre, il lui arrivait d’imaginer sur des feuilles blanches des systèmes de récupération et de recyclage de l’eau des toilettes.
Des années plus tard, un diplôme d’ingénieur et un passage parla filière Entrepreneur de CentraleSupélec en poche, la voilà à la tête de Vesto, une start-up cofondée en 2020 avec Bastien Rambaud et Wilfrid Dumas, l’une des plus belles pépites de l’économie sociale et solidaire (ESS).
Son marché ? Le reconditionnement du matériel professionnel de restauration, un immense gisement estimé par Vesto à plus de 30 000 tonnes annuelles, qui terminent aujourd’hui en grande partie à la benne.
« J’ai toujours été animée par le sens de l’utilité et de l’économie circulaire », raconte Anne-Laurène Harmel, de sa voix vive et déterminée. Son ambition entrepreneuriale, en revanche, est apparue plus tard, à l’occasion d’un stage chez Murfy, alors jeune start-up sur le point de démocratiser le dépannage et le reconditionnement d’électroménager grand public.
« Nous travaillions encore dans le salon d’un des cofondateurs, c’est là que j’ai compris que l’on pouvait s’investir dans un domaine qui ait à la fois un fort impact environnemental et sociétal et soit challengeant et économiquement viable, se souvient-elle. En m’ouvrant les yeux sur l’aventure entrepreneuriale, cette expérience a fait germer en moi l’idée d’entreprendre ».
Elle rejoint alors la filière Entrepreneur de CentraleSupélec, puis fait la rencontre peu après de Bastien Rambaud et Wilfrid Dumas, deux étudiants d’HEC en phase avec ses idées. Ces derniers évoquent avec elle l’idée de s’attaquer au reconditionnement du matériel de la restauration professionnelle. Le projet lui plaît, elle s’engage à leurs côtés et Vesto voit le jour au printemps 2020,malgré le Covid et les confinements.
À l’époque, le trio envisage de faire de Vesto un « Backmarket » du matériel de restauration professionnelle : fours, frigos, congélateurs, lave-vaisselles, friteuses, sauteuses… « Nous voulions créer une marketplace pour mettre en relation reconditionneurs et acheteurs, avec l’ambition, en parallèle, de fiabiliser ce matériel de seconde main, un enjeu indispensable pour toucher un marché professionnel », relate Anne-Laurène Harmel.
La jeune femme officie alors en tant que CTO, pilotant toute la sphère tech du projet. Sauf que l’équipe de Vesto doit se rendre à l’évidence : il n’existe pas de reconditionneurs professionnels de grands volumes pour ce type de matériel en France. Les acteurs existants sont souvent les brokers eux-mêmes et travaillent de façon artisanale. « Pour toucher les gros marchés, il nous fallait créer la confiance et avoir du volume. Au bout de quelques mois, nous avons donc dû pivoter ». Adieu la marketplace, Vesto va devoir mettre les mains sous les capots en se transformant en reconditionneur professionnel qui manque au marché. « Nous sommes passés en quelques mois d'une boîte tech à une boite technique et industrielle, basée sur une expertise totalement nouvelle, devenue notre cœur de métier », développe Anne-Laurène Harmel.
Pour elle, le pivot est total : de CTO, elle devient directrice de l’industrialisation. « Puisque nous cessions d’être une société tech, la question de la valeur que je pouvais apporter s’est posée », reconnaît-elle. Son rôle, désormais, consiste à « faire en sorte que nous travaillions encore mieux demain qu’aujourd’hui, ce qui signifie de mener un travail quotidien sans relâche sur l’optimisation de notre production, la standardisation de nos process, mais aussi la démarche qualité ».
La tech n’a pas disparu, elle est juste placée au service de la production industrielle, au sein d’un« atelier très processé mais hyper flexible », détaille Anne-Laurène Harmel, qui aura visité de nombreuses usines pour s’inspirer des meilleurs, depuis le reconditionnement de batteries ou de pneus, jusqu’à Renault. Résultat, Vesto réussit aujourd’hui à faire rimer économie circulaire et« production industrielle moderne », alors que l’industrie est un secteur traditionnellement focalisé sur la production linéaire.
Courant 2023, Vesto a inauguré à Compans (77) une usine de plus de 7000 m2, où travaillent plus d’une trentaine de collaborateurs, dont certains dans le cadre de parcours d’insertion. En pleine croissance et renforcée par une levée de fonds de 3 millions d’euros officialisée en octobre dernier, la start-up est en train de se faire un nom dans son secteur.
Elle collabore avec plus de 330 restaurateurs, dont des chaînes, des groupes ou encore des institutions publiques. Son ambition est claire : « devenir un acteur industriel de premier plan dans le secteur du reconditionnement », en particulier auprès des marchés publics, que la loi AGEC (anti-gaspillage pour une économie circulaire) contraint à consacrer entre 20 % et 40 % de leurs achats à des produits reconditionnés ou issus du réemploi.
En termes d’impact, Vesto affiche un bilan significatif, avec plus de 100 tonnes de matériel reconditionné à fin 2023, l’équivalent de 880 tonnes d’émission de CO2 évitées. Et ce n’est qu’un début. Au printemps, comme un symbole de son essor, la société ouvrira au cœur de Paris « La Galerie Circulaire », une boutique de vente pour les professionnels de la restauration adossée à un restaurant philanthropique entièrement « zéro déchet » … jusqu’au mobilier.
Fort de son savoir-industriel inédit capable de s’adapter à tout type de matériel technique professionnel, Vesto compte s’ouvrir également à d’autres marchés porteurs.
Anne-Laurène Harmel n’aurait-elle pas déjà réalisé son rêve d’enfant ? « Je suis une passionnée, motivée par la conviction de participer au challenge du siècle : la réindustrialisation de la France et l’indispensable industrialisation de l’économie circulaire ! », confie celle qui continue à recevoir conseils et soutien auprès d’anciens ou de professeurs de la filière Entrepreneur de CentraleSupélec.
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